mercredi 19 août 2009

Le marché de l’édition scientifique est-il compétitif ?

Pour l’allocation efficiente des ressources, les économistes vantent fréquemment les qualités de marchés compétitifs. Quand les conditions requises sont satisfaites, une saine concurrence mène tant à l’innovation technologique qu’à des prix abordables.

Or les revues scientifiques sont très chères et leurs prix augmentent annuellement de 6 à 8%, ce qui est bien plus que l’inflation (voir à ce propos notre billet Crise de la publication scientifique : rappel des faits).


Le marché de l’édition scientifique est-il donc compétitif ?

Quatre économistes de l’ULB ont examiné les caractéristiques du marché de l’édition scientifique et effectué une analyse économétrique sur plus de 2600 revues, dans le cadre d’une étude pour la DG Recherche de la Commission européenne. Les résultats sont édifiants :
  • certaines pratiques des éditeurs sont de nature à freiner l’innovation et la diffusion de la connaissance, ainsi qu’à maintenir des prix trop élevés : ventes liées par bouquet de périodiques, tarifs variables en fonction des dépenses historiques en abonnement papier des clients, annulation d’abonnements papier extrêmement limitée, contrats pluriannuels…sont des conditions typiques des « Big Deals » (c'est-à-dire les accords contractés avec les éditeurs par un ensemble de bibliothèques/institutions rassemblées en « consortium » pour mieux négocier le coût d’accès aux revues scientifiques) ;
  • les éditeurs commerciaux vendent leurs revues (jusqu’à) quatre fois plus cher que les sociétés savantes ;
  • les prix augmentent avec les citations (ou les facteurs d’impact) de la revue, et cet effet est plus important pour les revues publiées par des éditeurs commerciaux ;
  • il existe d’importantes différences de prix entre les domaines : les revues en droit sont les moins chères, celles en physique et chimie sont les plus chères ;
  • les prix des revues sont plus élevés dans les domaines plus concentrés, c’est-à-dire où un petit nombre d’éditeurs détiennent un grand nombre de revues.
Tous ces faits sont difficilement conciliables avec un marché dynamique et concurrentiel !

Les développements technologiques offrent néanmoins de nouvelles perspectives en matière de diffusion et d’accès aux publications scientifiques et de nouveaux modèles de communication voient le jour :
  • l’édition de revues en libre accès, auxquelles le lecteur a accès gratuitement et dont les frais de publication des articles sont pris en charge par l’institution du chercheur-auteur (voir le Directory of Open Access Journals) ;
Au niveau de la politique scientifique, les organismes de financement de la recherche et les universités souhaitent améliorer les conditions de diffusion et d’accès aux résultats de la recherche qu’ils financent. Ils mettent en place des politiques visant à garantir le libre accès aux publications de leurs chercheurs, soit en finançant la publication des articles dans des revues en libre accès, soit en organisant le dépôt des publications dans des archives ouvertes ou dépôts institutionnels. Celui de l’ULB sera très prochainement disponible…

Le rapport pour la Commission européenne suggère des pistes visant à améliorer la diffusion et l’accès aux publications et à rendre le marché plus compétitif :
  • Augmenter l’accès : garantir un accès public à la recherche financée publiquement, en permettant :
  1. le dépôt des publications dans des archives ouvertes ou dépôts institutionnels, peu de temps après la publication (*), et
  2. l’expérimentation de nouveaux modèles commerciaux, comme les revues en libre accès.
  • Combattre les barrières à l’entrée et la concentration sur le marché : promouvoir des stratégies de fixation des prix plus compétitives et plus flexibles, examiner minutieusement toute proposition de fusion et rembourser la TVA sur les revues électroniques aux institutions de recherche
  • Envisager des réformes du droit d’auteur pour la recherche, étudier les conséquences économiques d’une généralisation des modèles alternatifs de publication (**)…
Dans un prochain billet, nous reviendrons sur ce sujet pour examiner les mesures prises par la Commission européenne et les Etats Membres suite aux recommandations de ce rapport publié en 2006.

Mais nous pouvons, chacun individuellement, déjà contribuer à améliorer la situation en déposant nos publications dans un dépôt institutionnel en libre accès…

(*) voir la pétition signée par plus de 27.000 personnes
(**) voir notre prochain billet « L’Open Access est plus économique »

Ce billet est basé sur deux chapitres du livre « La publication scientifique : analyses et perspectives », J. Schöpfel, Lavoisier – Hermes Science, Paris, 2008 (disponible aux bibliothèques):
  • « Edition scientifique et pouvoir de marché » par M. Dewatripont, V. Ginsburg, P. Legros, A. Walckiers
  • « Evolution de l’accès aux publications scientifiques » par Françoise Vandooren.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Je lis avec intérêt votre billet. Je suis éditeur scientifique, dans une très petite maison d'édition (1 seul salarié éditeur).
Je suis abasourdi par les propositions de rendre le savoir gratuit en libre accès. Pas tellement que j'aie peur de perdre mon travail, mais par le fait que je suis certain que mon travail fait une énorme différence qualitative.
Premièrement, il y a un choix d'édition. Refus de certains textes mal écrits, pas structurés et surtout refus de nombreux textes qui sont des répétitions d'articles écrits ailleurs, quasiment avec le même sujet, uniquement avec changement de titre. C'est particulièrement le cas dans une discipline telle que l'histoire. Sans travail d'éditeur, on en est à publier tout et n'importe quoi.
On pourra toujours m'objecter que les choix des éditeurs ne sont pas toujours judicieux et qu'ils refusent parfois des articles intelligents, mais mal écrits ou qu'ils sont aussi victimes de la mode.
Deuxièmement, il y aussi une activité de diffusion, notamment pour les livres. Les livres (qu'ils soient publiés en papier ou en électronique) sont envoyés aux revues pour compte rendu. Et font l'objet d'une campagne de publicité. Or qu'ai-je dans certaines universités: publication en ligne de textes sans aucune relecture d'éditeur, mise en page catastrophique, aucune règle de typographie, quasi abandon du texte après avoir été mis en ligne? Est-ce vraiment utile de payer un chercheur durant 3 ans, pour ensuite abandonner son travail en ligne, sans un travail d'édition et de diffusion.
Enfin, si les prix sont plus chers dans certains secteurs, ne serait-ce pas parce que le travail de contrôle et de relecture sont plus exigeants? Une revue de physique exige une relecture par une personne qualifiée, qui puisse saisir les impacts des arguments avancés. Cela a un coût.
Alors quelle est la solution? A mes yeux une solution serait l'organisation entre plusieurs universités, de réelles maisons d'éditions, dont elles resteraient propriétaires. Cela a certes un coût, mais permet à l'université à la fois de diffuser le savoir et d'en rester propriétaire.
Mais, les solutions proposées actuellement, c'est-à-dire balancer sur internet des textes, n'a aucun sens sans travail d'édition. La visite de sites universitaires m'a rassure quand à la survie de mon métier, les textes sont mal présentés, mal référencés, etc.

Dans notre maison d'édition, le prix de vente de la revue ne concerne pas tellement les coûts de fabrication (40% du coût total), mais plutôt le travail de relecture, d'amélioration des textes, de négociation avec les auteurs pour qu'ils revoient leur texte. Si les universités mettent des revues gratuitement en ligne, qui va payer le travail d'édition. Le gratuit ne garantit pas la qualité. A moins que l'université paie quelqu'un pour faire le travail d'édition, mais comme toujours, c'est un coût supplémentaire.

Voilà, j'avais envie de réagir à votre article, qui me semble trop partial et mal argumenté.

Un éditeur scientifique.

Pr. Dr. R. Raynal a dit…

Cher ami "éditeur scientifique" anonyme.
Pour la part, je ne resterai pas masqué.

Ne connaissant que le milieu de la recherche en France, je ne parle que pour ce dernier, en physique, chimie et biologie.

Qui est "partial et mal documenté" ?
Le travail d'édition ? Il est réalisé par les auteurs, à travers les guidelines des revues. Si je n'envoie pas mon article dans le bon format, la bonne police, avec les citations en ordre voulu, etc. Il m'est retourné sans examen, jusqu'à ce que le "travail d'édition" soit fait. Par les auteurs, et "gratos pro deo".

Ces mêmes auteurs, qui vont payer les "frais" pour être publiés.

Parlons un peu des referees, ces juges arbitres. Combien sont réellement rémunérés par les revues, et combien sont en fait des membres du board de la revue, ou d'authentiques experts de la discipline, mais qui "monnayent" leur intervention contre la certitude de voir publier un certain nombre d'articles écrits par leur équipe ?

Qui a peur de "rendre le savoir gratuit et en libre accès " ? Dois-je préciser que ce savoir est déjà payé par le contribuable, et pas par l'éditeur ? Pourquoi le citoyen-payeur devrait-il cracher encore au bassinet pour consulter ce qu'il a financé ? (Avec de telles conceptions, on comprend par exemple pourquoi il est presque impossible d'illustrer un article avec une photo de Mars de l'ESA, par exemple, sous copyright, alors que je peux disposer librement des archives et documents de la NASA...Un comble: alors qu'une partie de mes impôts finance l'ESA, je ne peux gratuitement utiliser leurs photos, alors que je le puis pour la NASA que je ne finance pas... Vérité en deça des Pyrénées...)

Parler de travail de "diffusion" est risible, la diffusion de nombreuses revues étant microscopique (dans le milieu de la recherche, on dit que la majorité des publications ne sont lues que deux fois, dont une par leur auteur...), la libre disposition sur le net est une chance inespérée. Lorsque qu'un article est pertinent, bien écrit, et référencé correctement par son auteur, il reçoit bien plus de visites que s'il est publié dans une revue à la diffusion confidentielle (je citerai, comme exemple, la revue "origins of life and evolution of the biosphere", excellente au demeurant, mais dont la diffusion frise le samizdat!)

Les coûts engendrés ? La plupart des labos, dans les universités françaises, payent déjà des "spécialistes" chargés de rédiger les articles en anglais et de les mettre en forme selon les desideratas des revues. Ces personnes n'apparaissent pas dans le staff des universités, leur intervention étant externalisée, et budgetée au niveau de chaque labo (qui utilise parfois les services d'un étudiant pour cela, gratuitement, ce qui me permit de rédiger maintes thèses et articles à une certaine époque). Le paiement de ces spécialistes est d'ailleurs parfois rocambolesque, au vue des règles comptables archaïques de l'université Française (ou de ce qui en tient lieu): bons d'essence, matériel informatique ou bureautique...

Si la visite de sites universitaires vous rassure, en est-il de même pour des revues comme PLOS biology, par exemple ?

Vive le savoir libre (& gratuit) !

Unknown a dit…

Bonjour,

une fois de plus on constate qu'il ne faut pas comparer les pommes avec les poires. Personne dans une bibliothèque n'aurait l'idée de contester le travail fourni dans votre "très petite maison d'édition". Ce n'est d'ailleurs pas elle qui est visée par la contestation ni elle qui met en danger la communication scientifique dans son ensemble.

Je comprends que vous soyez agacé qu'on casse du sucre sur le dos des éditeurs scientifiques puisque vous en êtes. Si vous n'avez pas compris que l'on parle des éditeurs scientifiques cotés en bourse qui font des millions de bénéfice et qui continuent d'augmenter les prix, alors nous faisons face à un dialogue de sourd.

Objectivement, quel est le meilleur allié des petits éditeurs ? Les bibliothèques ou les groupes d'édition ?

Il me semble vain de simplement vouloir vendre votre plus-value au niveau de l'édition et de la diffusion. Lorsqu'un contrat m'interdit de couper des titres chez un gros éditeur, devinez qui va faire les frais de la baisse de mon pouvoir d'achat ? Le petit éditeur scientifique.

Il est temps de vous allier aux bibliothèques et de partir en guerre contre les gros éditeurs, sinon vous allez disparaître.

Anonyme a dit…

Bonjour Jean-Blaise,
naturellement, je suis d'accord avec vous. Je fais bien la différence entre un grand éditeur côté en bourse, qui vend sa revue à un prix inadmissible et d'autres éditeurs.
Et je suis d'accord avec les revues publiées par des universités, pour autant que cela ne soit pas "juste balancer sur internet n'importe quoi", mais avec un travail d'édition et un travail de diffusion.
voilà.

Mr Wise a dit…

Bonjour,
je voulu juste savoir s'il y a des organisme qui aident les chercheur des pays en développement pour la publication de leurs résultats car sa coûte très chère et généralement les budgets dédies a la recherche ne prévoient pas ce genre de dépenses
merci

Bibliothèques de l'ULB a dit…

Merci pour votre message Mr Wise.

Certains éditeurs Open Access proposent une exemption des frais pour les chercheurs de pays en développement (« waiver » en anglais) ; dans ce cas, cela est généralement clairement indiqué sur le site web.

D'autre part, en principe, la publication dans des revues 'traditionnelles' ne coûte rien ; certaines chargent des frais pour des pages excédentaires, mais il suffit alors en général de réduire le nombre de pages pour pouvoir y soumettre un article gratuitement.

Autre remarque : pour les projets européens financés par le FP7, les chercheurs peuvent introduire dans leurs demandes de budgets un montant pour payer les frais de publication en OA des résultats du projet...